Djanaé. Tu as huit ans et les enfants de la France entière découvrent ce que c’est que de passer leurs journées entières avec leurs parents. Toi, tu le sais déjà.
Depuis que tu as un an.
Depuis qu’on a fait un premier choix : tu sais, le fameux, celui qui fait s’écrouler une tour de kapla et remet tout à plat, celui qui engendre une autre décision, puis encore une autre, et tu te retrouves avec une avalanche (alors qu’au début, ce n’était qu’un simple petit mouvement de côté).
D’abord, j’ai choisi d’arrêter de travailler à l’extérieur. J’étais épuisée, dedans comme dehors. Nous nous sommes apprivoisées, toi et moi. La vie était devenue plus douce.
Bientôt, tu allais avoir 3 ans. L’âge où tout le monde te disait « tu vas bientôt aller à l’école, dis-donc! » Et en fait, non. Nous nous sommes dits que ça ne valait pas le coût : ton besoin de calme et de sommeil à outrance, ta sensibilité aux bruits, ta soif de découvrir et de jouer… pourquoi t’enlever tout ça alors que tu apprenais tellement vite sans qu’on ne t’impose rien ? Toi et moi, on avait trouvé notre équilibre.
Et puis… quand tu as eu 5 ans, ton père a obtenu sa rupture conventionnelle. Nous étions désormais tous les trois, dans notre grand appartement de 90m² (en réalité, nous avons vécu une autre période de confinement qui a déterminé la suite, mais ne mélangeons pas tout, on a le temps d’y revenir plus tard). Je ne sais pas si tu te souviens, mais on a eu du mal à trouver notre place. Papa dans le salon avec son ordi, moi dans le bureau, toi à faire du va et vient entre nous.
Puis on a vendu l’appartement. Pour une caravane.
Et puis on a vendu la caravane. Pour un camping-car.
On a valdingué nos petites affaires d’un bout à l’autre de nos choix bizarres. Et tu étais là, aussi heureuse dans ton immense tipi qui trônait dans ta grande chambre de l’appartement, que dans ta minuscule chambrette de la caravane, à moitié recourbée pour lire face à tes autocollants de princesse.
Dans 10m², il n’y a qu’une seule porte : celle de la salle de bains (enfin, de douche, et c’est déjà bien). On ne peut pas la claquer, elle risquerait de se décrocher. Tirer le rideau pour m’enfermer dans mon lit est moins jubilatoire. Et surtout, tu entends tout, et tu commentes tout (sauf quand tu dors, la nuit, OUF! un peu de répit).
Quand tu te laves les dents, tu ne peux t’empêcher de passer la tête pour poser une question sur ce que ton père vient de me dire. ME dire (pas à toi, tu saisis ?) Et quand tu es sensée être couchée, tu fais tes petits commentaires et tu ricanes à nos blagues.
Oui, le confinement, on le connaît bien. Mais celui-ci, on l’a choisi. On a mis des années à le mettre en place, parce qu’il y a plein d’autres avantages : on voyage, tu changes de jardin chaque semaine, tu découvres l’histoire et la géographie sur le terrain, on fait plein de rencontres, on est libres…
Pour y arriver, on a franchi les obstacles comme ton poney quand tu lui faisais faire les premiers sauts : c’était hésitant, on a parfois chuté en passant par-dessus (et pleuré), mais aujourd’hui, on est sûrement la famille la moins gênée par toute cette situation. La seule différence, c’est qu’on ne roule plus et que ton terrain de jeu extérieur s’est rétréci.
10m², et nous connaissons nos limites pour les avoir cogné un certain nombre de fois. 10m² et nous nous aimons toujours autant. Peut-être plus. 10m² et nous avons la chance de vivre par choix ce que la majorité subit.
Toi qui te sentais « une exception », qui en avais marre de répondre aux copains d’un jour que tu n’allais pas à l’école et que tu avais le droit de ne pas y aller, toi qui te sentais différente à devoir expliquer comment tu vis… maintenant, tous les enfants de France te comprendront un peu. Je dis bien un peu, parce que pour eux, c’est une parenthèse quand pour toi c’est ta vie.
Voilà, ma chérie. Ce confinement de 2020, pour l’instant, n’en est pas vraiment un pour toi. Pour nous. On en a vécu d’autres, sans qu’ils soient officiels. Et pourtant, ils ont été bien plus durs…