Djanaé. Tu me demandes souvent de te parler de mon enfance. Et des gâteaux au chocolat que mamie Fabienne faisait pendant la guerre. Celle de Brazza(ville, au Congo).
C’est étrange les détails que l’on retient en situation de crise. On est restés cachés pendant cinq jours, les balles sifflantes au-dessus de nos têtes le jour, traçantes la nuit, transformant la beauté des lumières célestes en horreur. Depuis, j’ai encore du mal avec les feux d’artifice. Mais tout ce qui t’intéresses, ce sont les fameux gâteaux au chocolat de mamie Fabienne. Alors laisse-moi te raconter encore une fois.
C’était en Avril 1997. Tonton Raph venait de naître. Grand-papi et Grand-mamie étaient venus nous voir. Deux semaines au soleil, sous les tropiques (après ça, ils ne sont plus jamais venus nous rendre visite en Afrique…).
Peut-être que plus que mes souvenirs réels, ce sont ceux filmés par Grand-papi qui restent. Indélébiles. Impossible de les mélanger, ceux-là. Mais je m’égare.
Quelques jours plus tôt, des amis américains étaient partis en congés, prêtant leur grand congélateur à mamie Fabienne. Et en prime, ce qui était à l’intérieur, c’ était cadeau ! Et il était plein. Pour nous qui n’avions jamais d’aliments « européens », c’était la fête.
Alors quand les militaires ont envahi les rues et que plus personne ne pouvait sortir, mamie Fabienne s’est mise à faire des gâteaux. Pour remplacer le pain. Nos petits déjeuners cloîtrés avaient des allures de fête.
Papi Pascal écoutait les infos à la radio. Grand-mamie berçait tonton Raph dans le couloir où les bruits étaient plus confinés. Grand-papi filmait, souvent suivi de prés par tonton Isaac. Moi, je ne me souviens pas vraiment. Quelques jeux avec tatie Ket’s et tatie Léa, embêter tatie Jaël, sûrement, et passer des uns aux autres, en quête d’un signe que tout irait mieux.
Mais le pire, c’était la nuit. Plus rien n’étouffait les coups de feu et les roquettes qui explosaient. Aucune activité ne pouvait faire diversion. Ça n’a duré que cinq jours, mais les cinq jours les plus longs de ma vie.
Et grâce aux gâteaux de mamie et à toutes les denrées alimentaires offertes « par hasard » avant que tout ne parte en vrille, nous avons tous mangé à notre faim. Et plutôt bien. Quatre adultes, quatre enfants et deux bébés de moins de deux ans.
Ce qui est rigolo (ou pas !), c’est que je t’ai raconté tout cela pour la première fois quand nous n’avions plus les moyens de faire les courses, et qu’en faisant les derniers fonds de placard, je me suis retrouvée avec de la farine, un œuf, un peu d’huile et quelques carreaux de chocolat. Un gâteau en guise de repas. Pour toi, c’était génial. Et nous, on se demandait ce qu’on mangerait le lendemain.
Djanaé, ne sous-estime jamais le pouvoir d’un gâteau au chocolat 🙂