Djanaé.
En parlant de confinement du corps, j’ai repensé à lorsque tu es née. À l’époque, je me soumettais à la toute puissance médicale qui disait mieux savoir que moi ce dont j’avais besoin. Et j’étais plutôt docile. Ils avaient réussi à me faire croire qu’accoucher à la maison, c’était dangereux. Et moi, je ne voulais surtout pas prendre de risque pour toi.
Pourtant, où tu es née, tout le monde a été formidable. Lors du rendez-vous pour la fameuse « péridurale », cette piqure qui permet de ne pas avoir mal pendant l’accouchement, l’anesthésiste m’avait encouragée dans mon choix de ne pas prendre la péridurale. Il ne m’a pas dit que je disais ça maintenant, mais que je changerais d’avis, comme la majorité des femmes. Il m’a confirmé que la grande majorité des mères mettaient au monde leurs enfants sans péridurale partout dans le monde, depuis la nuit des temps, et qu’elles survivaient à la douleur.
Les sages-femmes aussi ont été super. Elles ont ri à mes blagues pourries entre deux contractions, ont répondu à mes questions sans queue ni tête lorsque j’essayais de faire diversion pour oublier les horribles douleurs. Elles m’ont rassurée chaque fois que je faisais pipi alors que je croyais que la poche s’était enfin rompue et que j’avais tellement honte. Elles ne m’ont pas jugée quand j’ai suggéré que l’autre femme qui accouchait dans une autre salle pouvait peut-être hurler moins fort pour pas faire peur aux autres qui attendaient leur tour. Elles m’ont recousu avec le plus de douceur possible, sans s’énerver chaque fois que je tressautais à cause de la douleur (et oui, sans péridurale, l’anesthésie locale n’était pas très efficace).
C’est après, que j’ai vraiment regretté de ne pas être dans notre cocon. Un cocon douillet que l’on a préparé pendant des mois avec ton papa. Je m’y sentais bien, en sécurité. Je n’avais qu’une hâte : y retourner. Être chez moi.
Ne plus avoir cette autre maman dans ma chambre. Ne plus te bercer des heures durant pour que tu la laisses elle et son bébé dormir un peu, et essayer de calmer tes hurlements. Ne plus avoir quelqu’un qui vient vérifier que tu tètes bien, assez, comme il faut, aux bonnes heures. Ne plus devoir sourire par obligation pour ne pas avoir en prime la visite surprise du psychologue. Et surtout, pouvoir rester avec ton papa.
La nuit où tu es née, une femme a accouché dans le couloir. Elle est arrivée trop tard à la maternité, elle n’a pas eu le temps d’attendre qu’une salle soit prête. C’était son troisième enfant et il est sorti vraiment plus vite que ce qu’elle aurait cru. Tout le monde a essayé de la forcer à rester. Mais elle, elle a pris son bébé qui allait parfaitement bien et a signé une dérogation pour rentrer chez elle. Elle assumait totalement son choix. J’aurais aimé avoir son cran.
J’aurais aimé te prendre, signer cette dérogation et rentrer chez nous. J’aurais appelé la sage-femme qui m’avait suivie pendant la grossesse pour lui demander de passer une fois par jour vérifier que tout allait bien. Et ça aurait été parfait. Plus reposant.
Au lieu de cela, je suis restée cinq jours dans cette chambre. La première maman est partie, une deuxième est arrivée. Elle a tellement pleuré, que l’hôpital a accepté que son homme reste. J’étais tellement jalouse. Mais le lendemain, le psy est passé par là. Comme si c’était anormal de se sentir immensément triste, seule et désespérée sans son homme à ses côtés pour les premiers jours de vie avec son bébé. Du coup, j’ai ravalé mes larmes et j’ai patienté deux jours de plus.
Je ne suis pas en train de te dire que rester à la maternité, c’est une prison. Je crois qu’il y a des femmes qui en ont vraiment besoin. Que l’hôpital est plus reposant que chez elles. Je crois aussi que certaines mamans et certains bébés ont besoin d’un suivi médical plus poussé. Mais ce n’est pas la majorité. Et il est possible de faire la plus grande partie des « contrôles » de routine chez soi. Alors pourquoi confiner les mères qui veulent juste retrouver le nid qu’elles ont construit et leur imposer un lieu (morne et uniforme) et un timing (chronométré et balisé) qui ne leur correspond pas ?
Sept mois plus tard, j’ai eu droit à la même rengaine. Pour une appendicite. L’opération s’était bien passée. Mais tu me manquais. Mon bébé que j’avais dû sevrer en urgence me manquait. Je revoyais tes grands yeux bleus quand je t’avais expliqué que c’était ta dernière tétée. Que je ne serais pas là quand tu te réveillerais. Que tu n’allais plus me voir pendant au moins deux jours. Et quand je reviendrais, je n’aurais plus de lait. Il était temps. Tu avais compris et tu avais bu goulument sans jamais lâcher mon regard.
Tatie Ket’s avait réussi à te faire venir en cachette à l’hôpital. Quelques minutes seulement. On avait bien ri et j’avais pu te faire un gros bisou.
Oui, mais voilà. Au bout de trois jours, le chirurgien ne voulait toujours pas me laisser rentrer à la maison. Pourquoi ? Parce que j’avais pleuré, et que selon lui, j’avais encore besoin de repos. Comment expliquer au monde que mes larmes ne reflètent pas forcément le désespoir ? Que ça déborde toujours très vite ? Mais que ce n’est pas une faiblesse, juste une façon d’être ? Que je ne suis pas comme tous les autres et que ce n’est pas sensé être un problème ? Là, c’en était un. Je devais les ravaler pour montrer que j’étais prête à rentrer chez moi. Sauf que l’injustice me faisait pleurer encore plus. Et que je n’avais toujours pas le cran de signer une dérogation pour rentrer chez nous.
Voilà comment le corps médical a réussi à me accepter leurs règles du jeu pourries. En un sens, si tu pleures, on te confine. Si tu souris, tu peux rentrer chez toi.
Je te le dis, ma chérie : pleure autant que tu veux. Mais évite de le faire devant les médecins. Ça leur fait peur. Et quand ils ont peur, ils préfèrent te surveiller. Mais tu sais quoi ? Même s’ils sauvent des vies, mêmes s’ils sont une bénédiction (je sais comment sont les services médicaux ailleurs, crois-moi, on a de la chance en France), ils ne devraient jamais oublier qu’ils ne savent pas tout, qu’ils ne nous sont pas supérieurs et qu’ils ne sont pas Dieu.